Le parti de l’ordre, entre fadeur et lassitude

Le 19 avril, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran annonçait les orientations des prochains mois : « 100 jours, trois grands axes mis en avant par le président de la République : travail, ordre, progrès ». Désespéré de relancer un quinquennat plus que ébranlé, le Gouvernement nous sert un assemblage mal pensé de références incohérentes.

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Gendarmes et CRS devant le Conseil Constitutionnel REUTERS/Stephane Mahe

Renouveau poussiéreux

La comparaison avec les cent jours napoléoniens est assez mal trouvée : certes, elle renvoie à des idées de bravoure, de dynamisme, d’optimisme ; mais ces jours sont surtout l’ultime baroud d’honneur d’un système essoufflé, arrivé en bout de course, jouant la surenchère pour oublier que son temps est révolu. On repassera aussi sur la pertinence de vouloir comparer le président Macron à l’empereur des Français, quand on sait que la foule lui reproche précisément son autoritarisme et son ego mal placé.
Le triptyque « Travail, ordre, progrès » est ici bien plus intéressant. Au-delà d’un léger arrière-goût brésilien, il dénote surtout d’une incapacité profonde du macronisme à rebondir. Fini l’optimisme réformateur de 2017, la volonté de dépasser les partis, de passer outre les corps intermédiaires pour créer une nouvelle façon de faire de la politique. Le Gouvernement a réussi à être mis en échec dans les négociations et la rue par la CFDT, le syndicat le plus mou et conciliant, et à l’Assemblée par Les Républicains, parti que LREM avait pourtant méthodiquement affaibli et siphonné pendant cinq ans.
Battu par un “ancien monde” qu’il n’aura pas réussi à changer, le gouvernement revient à la tentation d’un simple “parti de l’ordre”, pariant retrouver le soutien du corps électoral par le pourrissement de toutes les contestations.

Laisser fermenter jusqu’à l’explosion

Difficile en effet de ne pas voir un certain cynisme dans la politique de maintien de l’ordre actuelle.
Bien sûr, les nouvelles formes de manifestations, spontanées, sans encadrement ni structure, dans lesquelles peuvent plus facilement évoluer des groupes radicaux de casseurs rendent les débordements difficilement évitables. Comme l’expliquent les sociologues Olivier Fillieule et Fabien Jobard, les dernières décennies sont marquées par une « déritualisation » des défilés et un recul des « savoir-faire et savoir-être manifestants ». Sans un service d’ordre puissant pour encadrer la masse de manifestants pacifiques, les professionnels des manifestations peuvent aisément orienter le mouvement vers la confrontation en venant exciter la réponse policière.
Mais la réponse française est ici particulière. Tandis que toutes les autres polices européennes privilégient dans ce cas une doctrine de désescalade et de ciblage des arrestations, les forces de l’ordre en France appliquent à des manifestations majoritairement pacifiques et de grande ampleur les techniques normalement réservées aux manifestations de radicaux : déclarer toute la manifestation illégale au premier acte de violence, “nasser” toute la manifestation et procéder à des arrestations massives.
Les cinquantenaires montés de leur province pour déambuler, chanter Le temps des cerises et manger des merguez se retrouvent alors traités comme des militants de l’ultra gauche professionnels des manifestations. On traite une manifestation de l’intersyndicale contre les retraites comme une manifestation des altermondialistes contre le G8 à Gênes. On se retrouve donc à gazer, frapper et tirer sur des pères de famille et à arrêter, comme lors de la manifestation du 16 mars, des étudiants, des joggers et même deux adolescents autrichiens en échange scolaire.
Ce paradigme confrontationnel, inadapté, ne semble pas combattu par les autorités politiques, au contraire. Les déclarations du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin la veille des manifestations du 25 mars à Sainte-Soline sont ici éloquentes : « les Français vont voir de nouvelles images extrêmement violentes ». L’idée même de travailler à la désescalade n’est pas envisagée, il est acté que la manifestation va nécessairement dégénérer.
Alors les violences arrivent, les images sont sur toutes les chaînes de télévision, et peu à peu, le discours médiatique passe de « Que pensez-vous de la réforme ? » à « Condamnez-vous les violences ? ». Consciemment ou non, selon le degré de cynisme qu’on lui prêtera, le Gouvernement cherche à reproduire l’épisode des Gilets jaunes. Le mouvement, qui semblait jouir d’un soutien croissant au sein de la population, a vu sa dynamique commencer à chuter après l’acte III le 1er décembre 2018 et les dégradations de l’Arc de Triomphe. Dans les mois qui ont suivi, le mouvement a peu à peu perdu sa base populaire, à mesure que la question des violences devenait de plus en plus difficile à ignorer. Le gouvernement s’en est sorti, non pas ses propositions, mais par sa patience et sa passivité.

Une stratégie qui s’émousse

Mais la recette aura du mal à fonctionner une seconde fois. Parce que les manifestations auront été, au-delà de quelques feux de poubelles et affrontements place de la Concorde, beaucoup moins violentes. Parce que le mouvement restait encadré par des structures syndicales. Parce que l’attitude du Gouvernement a paru embraser la situation plutôt que la calmer.
Certes, le mouvement social a finalement perdu la bataille, et la gauche, pourtant dans sa seule situation de relative unité depuis des années, n’aura réussi à en tirer aucun bénéfice politique. Le professionnalisme et l’organisation des syndicats n’auront pas été suivis par une Nupes désorganisée, minée par les caprices, les postures et l’immaturité politique.
Mais le Gouvernement n’aura pas ici donné une image d’ordre mais d’autoritarisme, laissant les gains politiques au Rassemblement national qui a enfin compris que sa meilleure stratégie réside dans la discrétion.

La posture du “ parti de l’ordre ” ne peut fonctionner durablement si on alimente soi-même la “chienlit”. Si l’on pose trop de fois la question « c’est moi ou le désordre », elle finit par se retourner contre soi.
Plus largement, la posture même de l’ordre est un non-sens, car ce n’est pas une posture politique mais un simple impératif étatique. L’État détient le monopole de la violence physique légitime, et il lui incombe donc de garantir l’ordre et la sécurité de ses citoyens. Réduire sa proposition politique à “ramener l’ordre” au strict minimum de ce qu’un État doit faire est le meilleur moyen d’être dépassé par un parti avec une vraie proposition politique. De la même manière que le parti de l’ordre des notables de la Deuxième république a été dépassé par le bonapartisme du prince Napoléon.
Emmanuel Macron, positiviste avec un siècle de retard, exemplifie les critiques que l’on faisait déjà au positivisme comtien. Une approche, certes féconde et nouvelle de la politique, mais qui, certaine de la rigueur de sa méthode, tend à négliger tant les valeurs et normes qui sous-tendent ses analyses que les aspects subjectifs de la politique.
Pour sortir de la crise politique actuelle, le Président ne peut se reposer que sur l’efficacité étatique d’un maintien de l’ordre froid. Plutôt que par des arrêtés préfectoraux, c’est en retravaillant son image, sa manière de faire, son attitude que le Président peut espérer faire taire les casseroles.