630 millions pour taper dans un ballon

La question des salaires des joueurs de foot revient régulièrement dans la sphère publique voire politique. Des explications économiques permettent d’appréhender les causes de ces rémunérations conséquentes.

Célébration de Kylian Mbappé après un but. YouTube

630 millions d’euros, c’est le montant du contrat signé pour 3 ans par Kylian Mbappé avec le Paris Saint-Germain en octobre 2022. Un total, ramené annuellement à 10 000 fois le SMIC, faisant de ce contrat le plus élevé de toute l’histoire du sport. Comme le veut la coutume, l’annonce a relancé les débats sur les salaires colossaux des sportifs du foot. Avant toute chose, je préfère mettre en garde le lecteur : cet article ne considérera pas l’aspect moral de la question. Il n’y aura, par conséquent, ni de “oui” ni de “non” sur l’éthique de ces salaires ou encore moins de plafond proposé si tant est que la réponse existe. En revanche, je vous convie à découvrir certaines explications économico-financières derrière ce phénomène. Pourquoi les joueurs de foot gagnent-ils autant ?

Les revenus des clubs

Pour commencer, il faut comprendre la manière dont les clubs se rémunèrent car, après tout, ce sont les employeurs des footballeurs et donc ceux qui acceptent de payer de tels montants. Pour ce faire, plongeons-nous dans les comptes du PSG justement. À la page vingt des comptes consolidés de 2019, on peut retrouver le détail du chiffre d’affaires qui s’élève à 622 millions d’euros. De la somme, 60% provient des sponsors et partenaires, 25% des droits audiovisuels, 7% du Merchandising et 7% de la billetterie et des abonnements. Sur la distribution des revenus, c’est peu ou prou le même son de cloche du côté du FC Barcelone et du Bayern Munich. Dans d’autres clubs comme l’Arsenal ou le Real Madrid, la part des droits audiovisuels avoisine les 50%. Quant à la Ligue 1, ils représentaient 47% du chiffre d’affaires agrégé des clubs en 2019. On apprend donc que les droits audiovisuels et les partenariats divers ont une place prépondérante dans le chiffre d’affaires des clubs contrairement à la billetterie comme on aurait pu le croire.

Remporter des matchs

Concentrons-nous d’abord sur les retombées télévisuelles. Naturellement, une finale de Ligue des champions rassemble bien plus de spectateurs qu’une simple dispute de phase de poules. Dès lors, les bénéfices de l’écran ne sont pas fixes mais dépendent du nombre de matchs joués et, plus précisément, de l’avancement de l’équipe dans les compétitions. L’impact des résultats sportifs sur les gains des clubs est déterminant indique le rapport 2019/2020 de la DNCG. Et pour cause, la Ligue des Champions rapporte à elle seule de 40 à 100 millions d’euros aux clubs. Un pactole accessible moyennant une équipe performante, mais, sans surprise, il faut des joueurs de premier ordre pour la constituer.

Contrairement à des entreprises de service qui dépendent aussi des hommes, ici le joueur doit non seulement bien accomplir son travail – jouer au foot – mais mieux encore, battre ses adversaires. Il ne faut pas seulement que les joueurs soient excellents, il faut qu’ils soient les meilleurs. C’est l’élitisme poussé à son paroxysme. Économiquement dit, une loi de l’offre et de la demande impitoyable, ou encore, un processus d’enchère sur le niveau de jeu du joueur. Plus ce dernier est talentueux, plus il sera courtisé par les clubs et donc plus il pourra tirer son salaire vers le haut. Le prix sur lequel se mettront d’accord club et joueur reflètera, pour le club, le montant que l’organisation est prête à payer pour que le joueur en question lui donne une probabilité suffisante de gagner un certain nombre de matchs et ainsi lui permette d’empocher les revenus évoqués ci-dessus. Ceux-ci étant élevés, les enchères sur les équipiers vont aussi être considérables. Par ailleurs, les joueurs étant directement à l’origine de ces rétributions, on comprend aisément qu’ils reçoivent chacun une part importante du gâteau. Pour les clubs, il s’agit en réalité d’un investissement et c’est d’ailleurs considéré comme tel dans leurs états financiers.

Photo de Tim Bechervaise - Unsplash

La “Star Academy”

Dans les méandres des comptes du PSG, nous avons découvert l’importance des sponsors et des partenaires du club. Évidemment pour attirer les marques, gagner des tournois est fondamental. Cependant, d’autres facteurs rentrent dans leur ligne de mire, notamment l’image. La marque veut-elle associer son identité à celle du club ? Nike verse environ 80 millions d’euros par an au PSG à titre d’exemple. On en vient donc à une autre explication du salaire des joueurs. Quand les clubs paient des sommes pharaoniques aux joueurs, c’est aussi pour qu’ils puissent contribuer à leur aura et permettre de signer ces contrats. Ce ne sont plus seulement des joueurs mais des “stars” payées pour s’exposer au public. Cristiano Ronaldo, qui vient de négocier un salaire de 200 millions d’euros par an avec le club saoudien Al-Nassr, est l’homme le plus suivi sur Instagram. Si le président du Paris Saint-Germain est prêt à débourser les 630 millions, c’est qu’il croit qu’en retenant l’homme aux 36km/h de vitesse de pointe, il va attirer les entreprises et, en outre, les “fans” qui vont regarder les matchs du club parisien, acheter les maillots du joueur, etc. Son salaire n’est plus seulement imputé à sa capacité de marquer mais aussi au spectacle qu’il offre à son public ainsi qu’à la personnalité qu’il dégage. Pour emprunter un terme juridique, les clubs financiarisent l’”Intuitu personae” des joueurs. On sort alors de l’économie du sport pour tomber dans l’économie de la notoriété qui est aussi très rentable. Enfin, l’unicité qui caractérise certains des plus grands joueurs du monde, propulsés par leurs admirateurs au rang d’artistes voire de divinités, explique l’acharnement des clubs allant parfois par-delà toute rationalité financière. « Les buts de Messi sont des œuvres d’art » disait Frank Rijkaard, l’ancien international néerlandais. En poussant l’analogie, pouvons-nous expliquer rationnellement que le Salvatore Mundi de Léonard de Vinci ait été vendu à 450 millions de dollars ?

Pour terminer, remarquons que si les enchères sur les joueurs montent si haut c’est que les clubs ont la capacité financière de le faire. Autrement dit, suffisamment de personnes apprécient et regardent le foot pour alimenter la machine. Les salaires des joueurs sont en définitive une simple traduction économique de la popularité du foot. Si la question éthique vous taquine à présent, je vous invite à lire l’article d’économie de notre numéro sur le pouvoir du peuple (n°26) !