Il y a dans le sport une « dimension émotionnelle, tragique, somptueuse » – Martin Mosnier, Journaliste Eurosport

Journaliste pour Eurosport, Martin Mosnier est spécialiste du football français. Lors des Euros 2016 et 2020, et des Coupes du monde 2014 et 2018, il a été l’envoyé spécial de la rédaction auprès des Bleus. Quelques semaines après l’édition 2022, il nous livre son analyse et le regard qu’il porte sur le sport.

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Quel est votre parcours ? Qu’est ce qui vous a mené au sport ?

Je suis né dans une région où on aime le football, à Saint-Etienne : je suis donc tombé dedans quand j’étais petit, et je me suis toujours dit que j’avais envie de vivre de cette passion. Par ailleurs, j’ai toujours aimé écrire, raconter des histoires. Par la suite, j’ai suivi un parcours assez classique : prépa lettres, fac d’histoire, école de journalisme puis stage, CDD et CDI chez Eurosport.

Quel est le souvenir sportif qui a marqué votre jeunesse ? Et celui qui a marqué votre carrière professionnelle, pour l’instant ?

J’ai plusieurs souvenirs marquants de mon enfance, je vais essayer d’être original : France-Bulgarie, en 93, d’abord, quand on échoue à se qualifier pour la Coupe du monde 94. Ça a été un traumatisme pour moi, comme pour beaucoup de gens de ma génération. Je pourrais dire aussi la Coupe du monde de 1998, mais si je prends un souvenir tout à fait personnel, je dirais Saint-Etienne – Ajaccio, 1er mai 1999, Stade Geoffroy-Guichard : c’était le match de l’accession pour monter en Ligue 1. À la dernière minute, Ajaccio égalise et on pensait à ce moment que l’ASSE ne monterait pas mais, dans le même temps, la défaite de Lille assure la place de l’ASSE en Ligue 1 ! La foule a envahi le terrain, on était passé par toutes les émotions. Pour la Coupe du monde 98, c’est surtout le 8ème de finale contre le Paraguay qui m’avait complètement chamboulé. Ce sont essentiellement des souvenirs de football mais il y a aussi la Coupe du monde 99 de Rugby. D’un point de vue plus professionnel, c’est le France – Argentine en Russie. Mais lorsqu’on travaille sur ces événements on les met un peu à distance, on ne vit pas les mêmes émotions.

Vous avez été l’envoyé spécial de la rédaction d’Eurosport lors de la Coupe du monde 2014 mais surtout lors de l’édition 2018 ; qu’avez-vous retenu de ces voyages ? La Coupe du monde est-elle le plus grand évènement sportif ?

La particularité de la Coupe du monde, c’est d’abord ce qu’il y a autour ; on sent que c’est un événement mondial, c’est un peu Disneyland. C’est aussi une dimension complètement unique : tout le monde à les yeux rivés dessus et ça n’a rien avoir avec les matchs de championnats et même avec les matchs de Ligue des champions. Ce que j’en retiens, c’est que finalement l’événement est plus fort que tout. J’ai suivi la coupe du monde au Brésil et la coupe du monde en Russie mais c’est la coupe du monde qui compte, véritablement. En plus, en tant que journaliste, je suivais les Bleus donc j’étais dans un petit monde, à part, concentré sur notre mission qui est de raconter le plus fidèlement l’aventure de l’Équipe de France. J’ai couvert beaucoup d’autres événements mais la Coupe du monde, c’est pas un événement fois dix, c’est un événement fois un million ! Tout a une portée qui est sans commune mesure avec le reste. La Ligue des champions a pris un poids considérable depuis les quinze dernières années mais la Coupe du monde reste tout à fait unique. Il n’y a qu’à voir la réaction des joueurs éliminés lors de la dernière Coupe du monde ! On représente son pays et ça n’arrive que tous les quatre ans ; cette rareté en fait un événement précieux.

Quelle est, pour vous, l’importance du sport, d’un point de vue individuel mais aussi social ?

J’ai toujours considéré le sport comme un vecteur d’émotions. Rien n’est écrit à l’avance, et il y a peu de choses dans la vie qui sont aussi imprévisibles. Le sport, c’est aussi les histoires qui vont avec ; un inconnu peut devenir un héros absolu, et une célébrité peut s’effondrer. Ce qui m’intéresse dans le sport, c’est cette dimension émotionnelle, tragique et somptueuse. C’est aussi une école de vie. Et puis, ce sont aussi les jeux du cirque d’aujourd’hui !

Quelles évolutions majeures du sport avez-vous pu observer au cours des dernières années ?

Déjà, quand j’étais jeune, c’était bien moins populaire, et je n’étais pas loin d’être le seul de la cour de récréation à m’intéresser au football. Aujourd’hui, tous les enfants rêvent de devenir MBappé. Comme le sport pénètre beaucoup plus la société, on le regarde différemment, et les sportifs acquièrent, en effet, un autre statut. Par ailleurs, le sport s’individualise de plus en plus et se “starifie”. Il suffit de voir comment on axe nos articles, et notamment lors de la dernière Coupe du monde : “la dernière de Messi”, “le rendez-vous d’MBappé”… Il y a toujours eu des stars comme celles-ci mais nous sommes aujourd’hui dans une société qui favorise les stars, et on le voit dans bien d’autres domaines que le sport.

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Martin Mosnier

Lionel Messi a joué son dernier match en coupe du monde, Cristiano Ronaldo a quitté les grands championnats pour un club d’Arabie Saoudite (Al-Nassr), Roger Federer et Serena Williams ont tiré leur révérence : Sommes-nous entrés dans une nouvelle ère ?

C’est une histoire continue. Même si, en football, il y a une page qui est en train de se tourner puisque Messi et Ronaldo étaient depuis 2006 l’Alpha et l’Oméga, c’est un éternel recommencement. En tennis, c’était l’ultime année de Federer, et la première grande année d’Alcaraz. On était dans des dimensions gigantesques avec Messi et Ronaldo pour le football, Federer, Nadal et Djokovic pour le tennis : ils ont repoussé les limites de leurs disciplines et donné de nouvelles références. Reste donc à savoir si ceux qui viendront après seront à la hauteur de ces références.

Football, Rugby, Handball, Volley, ou encore Basket, la France est championne du monde des sports collectifs, depuis quelques années. Comment l’expliquez-vous ?

Je me garderai bien de dire si ça va durer ou pas, on ne sait jamais, et c’est ce qui fait la merveille du sport. Cela dit, on a un réservoir fou en football, et en basket notamment, en particulier en Ile-de-France. C’est l’un des plus grands viviers du monde en football ; l’Ile-de-France est comparable à l’Etat de Sao Paulo ! Ça tient à des structures qui font leurs preuves depuis de nombreuses années, à une culture de foot de rue que n’ont pas certains de nos voisins qui en sont très jaloux. On a aussi des équipements de proximité partout et un championnat qui permet à des très jeunes joueurs de jouer à un niveau qui est compétitif, quoi qu’on en dise, contrairement à des championnats qui sont peut-être plus relevés mais dans lesquels il est plus difficile de se faire une place. Pourtant, on n’est pas à l’abri d’un échec comme en 2002 ; il n’y a jamais de garantie. Ce qui est sûr, c’est que le contexte est très favorable.

Au-delà des règles qui les régissent, quelles sont les principales différences entre les sports les plus suivis ; football, rugby, tennis… ?

Il y a à la fois des différences géographiques et des différences sociales entre les sports. Le football est incomparable parce qu’il transcende tout et suscite un engouement beaucoup plus large, même s’il demeure populaire. Contrairement au rugby, par exemple, le football dépend moins de son implantation géographique, et cela est dû d’abord à sa simplicité.

La Coupe du monde 2022 n’a pas été une coupe du monde comme les autres, entre les polémiques et l’enthousiasme suscité, qu’en reste-t-il ?

Déjà en 2014, quand la Coupe du monde a commencé, il y avait des manifestations partout contre la FIFA, des gens défilaient avec la tête du président Blatter au bout de piques ! Le contexte était très tendu mais il est vite retombé avec les premiers matchs. Effectivement, cette année, ça n’avait jamais atteint de telles proportions. Mais l’évènement de la coupe du monde l’emporte sur toutes les polémiques et l’image du Qatar en est ressortie grandie. Ça a permis tout de même de mettre en avant des problématiques importantes et on peut s’en réjouir.

L’image de la FIFA n’est pas ressortie grandie de cette édition. Certains de ses membres par le passé ont été parfois lourdement condamnés pour des faits de corruption (en 2015, notamment). Le football mondial pâtit-il de cette image ?

La FIFA est dans un monde parallèle ! Gianni Infantino n’incarne pas le renouveau qu’il aurait pu incarner après Sepp Blatter, c’était une opportunité mais il ne l’a pas du tout saisie. L’image de la FIFA est ternie mais ils donnent l’impression de s’en moquer. Dans l’affaire du brassard One Love, leur décision était révoltante, c’était du jamais vu de mettre un carton jaune au capitaine pour avoir porté un brassard comme celui-ci. Je n’ai aucun espoir que cette image de la FIFA évolue positivement dans les prochaines années. Il faut toutefois distinguer la FIFA de ceux qui font le jeu, et je pense que beaucoup de joueurs sont dépités devant ce qu’ils font.

Quelle est la place du football dans nos sociétés, et en particulier en France ?

Le football est “l’opium du peuple”, d’une certaine manière, depuis longtemps. En France, ça a basculé en 98 et depuis c’est un effet boule de neige. On n’est pas un pays de football pourtant, à l’origine. Une partie de la population est encore hermétique à ce sport d’ailleurs, ce qui n’est évidemment pas le cas en Argentine ou au Brésil.