Penser l’univers au Moyen-Âge

Que ce soit dans des sociétés païennes ou chrétiennes, l’étude du mécanisme de l’univers est intimement liée à la religion. Au Moyen-Âge, tout particulièrement, elle revêt une dimension aussi bien physique que spirituelle puisque la compréhension du monde va de pair avec la recherche de son créateur et ordonnateur. C’est pourquoi, dans sa soif de pénétration des mystères divins, le Moyen-Âge s’est largement appuyé sur les savoirs astronomiques antiques.

Enluminure par le Maitre-du Couronnement de Charles VI Paris 1375 ©BnF
Enluminure par le Maitre-du Couronnement de Charles VI Paris 1375 ©BnF.jpg

Connaître l’univers : les traités scientifiques du Moyen- Âge

Largement tributaire de la science grecque et arabe, l’astronomie médiévale se focalise au haut Moyen-Âge sur deux questions principales, la mesure du temps et le calendrier, notamment pour calculer la date de Pâques. Pour cela, des cours élémentaires d’astronomie comportaient des descriptions de la sphère céleste, avec les listes de constellations provenant d’un poème didactique composé par le poète grec Aratos de Soles (III° siècle avant JC) : les Phénomènes. Bien connues, les constellations sont ainsi largement représentées dans les manuscrits médiévaux, comme l’Andromède du traité De signis caeli attribué à Bède le Vénérable. Le Moyen-Âge voit aussi fleurir de nombreuses cartes visant à situer les constellations dans l’espace avec les principaux cercles célestes, le zodiaque et toutes les constellations classiques. L’apport de la science arabe à l’astronomie occidentale médiévale est significatif après l’expansion arabe du VIIIe siècle, notamment par la Syntaxe mathématique de Ptolémée (Ier siècle après JC), traité sur les mouvements des corps célestes traduit plusieurs fois en arabe, et en latin vers 1175 par Gérard de Crémone, intitulé l’Almageste

La « machine du monde » telle que la conçoivent les encyclopédistes du Moyen-Âge est donc conçue, à l’instar d’Aristote et de Ptolémée comme un ensemble de sphères emboîtées les unes dans les autres au centre desquelles se trouve une Terre ronde et immobile. L’image du monde est une encyclopédie adaptée en prose en 1246 par Gossuin de Metz à partir d’un traité en latin du XIIe siècle, l’Imago mundi d’Honorius Augustodunensis. Cet ouvrage de vulgarisation scientifique qui connut un grand succès comme en témoignent les nombreux manuscrits enluminés qui nous sont parvenus, met à la portée du public des notions savantes d’astronomie, de géographie et de sciences naturelles. Un manuscrit du début du XIVe siècle, illustré par le maître de Thomas de Maubeuge présente ainsi la Terre entourée de huit sphères colorées représentant huit cieux : le ciel étoilé et les sept sphères des sept planètes figurées sous la forme d’un petit cercle brun. Il s’agit de la Lune, Mercure, Vénus, le soleil, Mars, Jupiter et Saturne, en mouvement perpétuel autour de la Terre. Au-delà se tient l’Empyrée, en bleu, séjour de Dieu, des anges et des saints.

Dieu, origine et fin de l’univers

Réinterprétant les conceptions antiques, les dogmes chrétiens placent Dieu dans la cartographie médiévale de l’univers : les extrémités de l’univers au Moyen-Âge se distinguent du schéma antique puisque désormais le monde est clos non par la sphère des étoiles fixes ou celle du « premier moteur » d’Aristote, mais par l’Empyrée, séjour du Créateur, des anges et des bienheureux. Tirée d’un manuscrit de l’Image du monde réalisé pour Guillaume Flote chancelier de France sous le règne de Philippe VI (1328-1350), une miniature en pleine page représente ainsi le Christ en majesté, assis de face sur un trône, au-dessus d’un schéma des sphères de l’univers : la sphère du firmament où se trouvent les étoiles fixes enferme ainsi les sept sphères des astres puis les quatre sphères des éléments, feu, air, eau, terre. Au-delà du firmament, autrement dit de la huitième sphère, se trouvent les neuvième, dixième et onzième cieux au-dessus desquels se trouve l’Empyrée, rouge et bleu, avec Dieu et les saints, figurés par le tétramorphe, symbole des quatre évangélistes. A l’inverse, au centre de ce système, et au plus profond des sphères du monde se trouve l’enfer, représenté par un monstre.

A partir du XIIIe siècle, se développe le thème du Dieu créateur, géomètre dessinant et mesurant le monde. Une enluminure d’un manuscrit de la Cité de Dieu, réalisée en 1375 interprète ainsi la théorie platonicienne de la création du cosmos comme mise en forme harmonieuse du chaos informe, ce qui explique pourquoi les principes supérieurs de la géométrie guident le processus de création et que la forme du monde est nécessairement celle de la sphère parfaite. Le Créateur, tenant un compas dans la main droite, dessine ainsi la sphère du monde comme inspiré par le livre qu’il tient de sa main gauche levée vers le ciel.

Gossuin de Metz copie vers 1320-1325 ©BnF
Gossuin de Metz copie vers 1320-1325 ©BnF

Le globe terrestre, symbole de pouvoir et de majesté

Autre héritage antique, emprunté à la symbolique impériale romaine, le globe devient un attribut de la majesté divine. Joint à la présence des astres, il rappelle la dimension cosmique et universelle du Dieu éternel et tout-puissant. Placer un globe sous l’image divine, comme siège ou piédestal est ainsi une des manières d’introduire l’idée de domination physique et spirituelle sur le monde. Une enluminure de la Bible de Vivien, « première Bible de Charles le Chauve », réalisée à l’abbaye Saint-Martin de Tours vers 845-851, présente un Christ en majesté assis sur un cercle où apparaissent des terres, de l’eau et des étoiles. Ce cercle du monde, hors du temps, contribue à créer, dans l’image, un espace sacré, abstrait, où Dieu et les saints qui l’entourent sont placés dans une dimension différente. Cette image très ancienne du globe terrestre, symbole de la majesté de Dieu, traverse l’iconographie chrétienne, se réduisant parfois à un simple globe tenu par Dieu ou posé sur ses genoux, comme pour le couronnement de la Vierge des Très Belles Heures de Notre-Dame (v1380).

Représentant l’espace habité par les « nations du monde », le globe surmonté d’une croix en vient ainsi à être le symbole du pouvoir temporel et spirituel dont les souverains chrétiens sont les dépositaires en tant que « vicaires de Dieu ». Synthèse de la réflexion médiévale sur la place de Dieu dans l’univers, le globe crucifère matérialise l’analogie qui est faite entre pouvoir divin et pouvoir humain.