Détention et spiritualité : entretien avec le Père Pierrick, aumônier de prison

Le Père Pierrick est curé de la paroisse Notre-Dame de l’Espérance à Ivry-sur-Seine. Il est également aumônier au centre pénitentiaire de Paris – La Santé (XIVème arrondissement). Pour La Fugue, il évoque son apostolat auprès des détenus.

Le père est aumônier au centre pénitentiaire de Paris-La Santé
Père Pierrick, aumônier au centre pénitentiaire de Paris - La Santé ©Pauline Doutrebente
Comment êtes-vous devenu aumônier de prison ?

Eh bien, je n’y avais jamais pensé avant ! J’ai été curé de Marne-La-Vallée pendant 11 ans. Et au bout de ces années, j’ai voulu avoir un ministère auprès des plus pauvres. Un prêtre qui était aumônier national des prisons m’a dit un jour qu’il me verrait bien aumônier en détention et il me proposa de venir en visite avec lui. Là, ça n’a pas été un coup de foudre, mais presque !

Comment êtes-vous accueilli en prison et quelle y est la place du spirituel ?

En prison, la question du sens de la vie, et donc de Dieu, s’impose aux détenus. Des gens qui ne se posaient pas ces questions se les posent une fois qu’ils sont enfermés : ils doivent se réconcilier avec eux-mêmes, après toutes les cassures qu’ils ont endurées. C’est pourquoi le Christ est souvent déjà dans leur cœur, dans leur cellule. Nous, nous devons être des sourciers : ceux qui, à travers l’écoute, vont signifier qu’il y a encore une lumière au milieu de la nuit, malgré les nombreux échecs. Il faut que justice soit faite, oui, mais tout n’est pas “foutu” et Dieu ouvre un avenir. ll est important qu’on puisse faire émerger cette lumière qui est enfouie en eux. Lorsque nous rencontrons les détenus, ils nous parlent le plus souvent de leur famille, d’abord, mais jamais de ce qu’ils ont fait. Ils sont enfermés et ils ont besoin de parler ; il est important qu’ils sentent que nous sommes là pour les comprendre. Nous sommes aussi dans ces cellules pour servir la Parole de Dieu. Je n’ai jamais autant propagé l’Évangile et les psaumes (qu’ils apprécient particulièrement) qu’en prison. Encore ce matin, un des détenus, instable psychologiquement et au parcours de vie compliqué, m’a demandé de lui lire le psaume 68 et cela résonnait avec son histoire. Notre première logique est celle de la visite, car dans l’Évangile, il est bien dit : “J’étais en prison, vous m’avez visité”.

Quel rôle joue la religion dans la “purgation” qui doit s’opérer chez les détenus pendant ce temps d’incarcération ? En ce sens, le temps passé en prison prépare-t-il vraiment à la réinsertion des condamnés ?

Quand on est enfermé dans une cellule de neuf mètres carré, 22 heures sur 24, même s’il y a la télé, on est face à soi. Donc, dans l’enfermement, il y a déjà quelque chose d’un retour sur soi, sur sa propre histoire, sur ce qui s’est passé. Il y a une espèce de prise de distance qui s’opère. Quoi qu’il arrive, je pense qu’ils sont face à leur conscience, qui est un sanctuaire. Et la prison punit, certes, mais elle doit aussi réinsérer. Pour ce faire, il y a des psychologues et le personnel du SPIP (Ndrl : Service pénitentiaire d’insertion et de probation) qui s’occupent de leur trouver un logement et un travail à leur sortie. Il y a également des activités en prison organisées pour permettre cette réinsertion à la sortie : Lire pour en Sortir par exemple travaille à cela par la lecture et l’écriture, mais il y a aussi des ateliers de théâtre, et puis l’aumônerie. Tout cela participe de la reconstruction de la personne.

En quoi consiste très concrètement votre apostolat dans les prisons ? Quel est son cadre juridique et administratif ?

Dans les prisons d’un état laïc, comme pour les hôpitaux, les aumôneries sont reconnues ; il existe un droit à bénéficier des cultes. En ce qui concerne le catholicisme, il y a la messe tous les dimanches dans la prison et des groupes bibliques organisés le samedi. Les autres cultes sont également présents : musulman, israélite, protestant. Il n’y a donc pas de conflit avec l’administration, nous faisons partie du cadre comme dans le monde de la santé. Nous sommes six aumôniers catholiques pour l’ensemble des cinq bâtiments qui composent la Prison de la Santé. Pour ma part, je m’y rends les mardi et jeudi, et une fois par mois pour la messe du dimanche. Nous sommes aidés des ABA (ou auxiliaires bénévoles d’aumônerie) qui, eux, viennent animer les groupes bibliques du samedi matin. Normalement nous n’avons pas le droit de garder un lien avec eux après leur sortie de prison : nous sommes aumôniers pendant leur détention. Cependant, je fais appel aux chrétiens, aux paroisses, aux mouvements, aux services pour prendre le relais et pour qu’on soit capable dehors de continuer à les accompagner et à les écouter.

Depuis plusieurs années, la radicalisation islamiste est un phénomène grandissant dans les prisons françaises, l’avez-vous observé ?

Je crois qu’il y a un nouveau public qui apparaît en ce moment, assez radical (pas uniquement chez les musulmans d’ailleurs !). Nous ne sommes pas immédiatement confrontés à cette radicalité tout d’abord parce que nous ne rencontrons pas ceux qui ne nous le demandent pas. C’est important toutefois d’être capable d’écouter malgré tout. Quand l’écoute n’est plus possible, il faut essayer de trouver une autre voie. Je me rappelle d’un détenu radicalisé qui tenait des propos insoutenables, et j’ai détourné son attention vers autre chose : je l’ai interrogé sur les dessins que j’avais remarqués sur le mur. Il m’a expliqué pourquoi il faisait ces dessins, et ce qui le passionnait : c’était un autre homme ! Nous avons pu discuter du Beau, et le Beau mène à Dieu. Dans un univers carcéral où tout est laid, il est important de regarder ce qu’il y a de beau dans leur vie : il y a eu des drames, des choses difficiles, mais c’est important de faire émerger et de nommer ce qu’il y a de beau et de bon. 

Face au climat de tension et même de violence qui règne en prison, quelle est votre méthode auprès des détenus ?

Il faut se garder des réactions épidermiques, même si ce qu’on entend nous dérange et n’est pas juste. C’est important de laisser la parole couler. Il y a rarement de la violence entre un détenu et un aumônier, donc je pense qu’on participe à cet apaisement, dans un lieu où il y a beaucoup de bruit, où on entend taper contre les portes, où les gens se révoltent. Quand ce détenu ce matin m’a demandé de lire le psaume 68, une paix s’est installée immédiatement à cette lecture, parce que cela a résonné en lui. Je pense donc que notre posture d’écoute et de disponibilité permet de procurer une certaine paix. C’est aussi pour ça que c’est important d’être en forme pour aller voir les détenus ; il ne s’agit pas d’être fatigué ! Il faut être totalement disponible à la personne, car c’est ça d’abord qui apaise.

Une belle anecdote pour finir ?

C’est une joie pour moi, en tant que prêtre, d’avoir préparé une personne au Baptême, à la Confirmation et puis à l’Eucharistie. C’était tout un cheminement : j’ai vu cette personne passer par des moments très difficiles, grandir et s’ouvrir à Dieu. Et avec ce cheminement, nous avons touché le travail de l’Esprit-Saint. Une confiance s’est établie avec les aumôniers et finalement cette personne a accueilli la parole du Christ qui a touché son cœur, qui l’a convertie au sens où cette personne a vraiment changé de direction. Cependant, nous ne voyons pas toujours les fruits de notre apostolat : nous travaillons gratuitement, en espérant alors que ces hommes rencontreront demain les bonnes personnes qui poursuivront notre travail.

Propos recueillis par Pauline Doutrebente et Ombeline Chabridon