Vatican, le secret de sa puissance

Depuis la fin du XIXème siècle, l’Église catholique s’impose comme un acteur essentiel de la diplomatie mondiale et comme un artisan de paix sur la scène internationale, avec une souveraineté spirituelle qui s’exerce sur 1,3 milliards de catholiques dans le monde.

Siganture du traité de paix entre l'Argentine et le Chili au Vatican, le 29 novembre 1984
Siganture du traité de paix entre l'Argentine et le Chili au Vatican, le 29 novembre 1984

Le Saint-Siège, un souverain sans territoire

« Tout Etat fait la politique de sa géographie » affirmait Napoléon. Cette expression du bon sens s’appliquait aux États pontificaux sur lesquels le Pape a exercé une autorité temporelle jusqu’en 1870, année de son annexion par l’Italie. Disposant d’une armée, il était alors un chef de guerre ancré dans les conflits de son époque, en plus d’être l’héritier de saint Pierre. L’étendue de son territoire évoluait au gré des conquêtes ou des guerres de succession. Les contours de son autorité temporelle ont d’ailleurs été dessinés progressivement dans sa confrontation avec les autres souverains européens. Le célèbre bras de fer entre le pape Boniface VIII et Philippe le Bel a été le paroxysme des tensions entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Dans la bulle Unam Sanctam (1302), le Pape s’accordait un droit de veiller sur l’exercice du pouvoir politique. Philippe le Bel refusa cet ascendant et interdit l’immixtion du pape dans les affaires de politique intérieure, limitant ainsi l’autorité temporelle du Pape à ses propres états. 


En 1870, lors de l’unification du Royaume d’Italie, les Etats pontificaux ont été annexés, laissant le Saint-Siège sans assise territoriale. Ce n’est qu’en 1929, lors des accords de Latran, conclus entre Mussolini et Pie XI, que le Saint-Siège a retrouvé une souveraineté sur la Cité du Vatican. De ce demi-kilomètre carré et des quelque huit cents habitants accordés à l’autorité du Pape aurait pu naître un sentiment d’humiliation ou de revanche au sein des autorités ecclésiastiques. Mais paradoxalement, les papes successifs ont accueilli cette réduction de leur domaine foncier comme une aubaine leur permettant de s’affranchir de la raison d’État et de retrouver les fondements de leur ministère principal, celui de chef de l’Église catholique. Libérés d’ambitions territoriales, économiques ou même commerciales, ils retrouvent une plus grande souveraineté sur les cœurs et les âmes. Pie XI lui-même se réjouissait en 1929 de la réduction du territoire du Saint-Siège « à de si minimes proportions qu’il puisse et doive lui-même être considéré comme spiritualisé par l’immense, sublime et vraiment divine puissance spirituelle qu’il est destiné à soutenir et à servir. »

Les intérêts du Saint-Siège

La géopolitique est l’étude de la géographie physique et humaine, des représentations dans l’optique de déceler les intérêts réels des états, au-delà des discours politiques. Dans cette optique, le récit, dont chaque puissance a besoin pour susciter l’adhésion des populations à sa vision du monde, trouve un ancrage géographique et soutient des intérêts réels. Ainsi, la défaite de l’Allemagne en 1945 a sonné la fin du nazisme, qui ne pouvait subsister sans une assise territoriale. De même aujourd’hui, en même temps que les armées ou monnaies étrangères essaient de concurrencer la puissance américaine, on assiste parallèlement à une remise en cause ouverte de l’ordre international fondé sur l’idéologie des droits de l’homme et de la démocratie. Ces récits ne survivent jamais pour eux-mêmes et sont toujours intimement liés à une puissance.

Pourtant, malgré la faillite des États pontificaux, le Saint-Siège continue d’exister sur la scène internationale et d’y occuper une place importante. Servant la promotion de la paix entre les peuples, la politique extérieure du Saint-Siège trouve sa source dans la doctrine de la foi catholique. Le Pape est donc le successeur de saint Pierre à qui Jésus a confié lui-même les clefs du Royaume des Cieux. Son seul testament est résumé dans ce verset de l’Évangile : « Tout ce que tu lieras sur terre sera lié dans les Cieux, tout ce que tu délieras sur terre sera délié dans les Cieux » (Matt. 16:19). C’est cet héritage que le Pape incarne qui fait aujourd’hui sa seule puissance et détermine ses intérêts. Le plus petit État du monde est en fait le siège d’une souveraineté exercée sur 1,3 milliards de catholiques. La place du Saint-Siège comme acteur géopolitique depuis plus d’un millénaire, surtout dans sa forme moderne, est donc singulière. Tout en servant les intérêts des catholiques, il s’impose comme un acteur politique crédible et incontournable dans la diplomatie mondiale.

Un souverain spirituel mais acteur politique de premier rang

Depuis le début du XXème siècle, la politique extérieure du Pape consiste à faciliter la paix par la médiation et la diplomatie secrète. Initiée par le pape Léon XIII, elle sera poursuivie par Benoît XV pendant la Première Guerre mondiale, puis par tous ses successeurs. Grâce à un appareil diplomatique colossal et très performant, forgé depuis les débuts des États Pontificaux, le dialogue avec les autres chefs d’État est le cœur de sa stratégie pour instaurer la paix. L’Académie pontificale ecclésiastique, la plus vieille école diplomatique du monde fondée en 1701, forme des prêtres servant les intérêts de l’Église à l’étranger. Le Pape dispose donc du troisième réseau diplomatique mondial et jouit ainsi d’une réelle influence politique.

Le Vatican peut se targuer d’être un carrefour de la diplomatie mondiale, probablement parce que les États ne voient pas derrière son action de médiation les intérêts cachés du Saint-Siège. La stabilité de sa position depuis plusieurs siècles fait de lui un acteur crédible aux yeux des chefs d’État. Depuis le début du XXème siècle, le Pape offre régulièrement ses services de médiation, dans un monde où les clivages idéologiques conduisent souvent à des blocages politiques. En 1979, dans le conflit du Beagle opposant le Chili et l’Argentine, les deux États ont demandé d’un commun accord la médiation du pape Jean-Paul II, qui mènera à un traité de paix entre les deux pays en 1984. Encore récemment, à la demande de Washington, le pape François a accompagné la reprise des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis, qui avaient pourtant été brisées depuis l’embargo de 1962. La diplomatie du Saint-Siège est reconnue par quasiment tous les États du monde, avec qui le Pape entretient des relations régulières. Ainsi, depuis le mandat de René Coty, tous les présidents de la République française, excepté Pompidou, se sont soumis à la traditionnelle visite officielle du Pape.

Dans le combat géopolitique en cours, où la bataille culturelle est à son apogée, la vision de l’Église est sans doute la plus représentée dans le monde. Sa présence à l’ONU et sa diplomatie sont relayées par une hiérarchie héritée de l’Empire romain et propre à l’Église, diffusant ainsi sa voix au plus proche des peuples.