Brèves

Ex Libris

Bella, Jean Giraudoux, 1926

« La guerre de Troie n’aura pas lieu », affirmait ce bon vieux Jean. A-t-il eu raison? Je vous invite, mes chers compatriotes assoiffés de lecture, à ouvrir et découvrir les mots de ce diplomate, dramaturge et romancier du siècle passé.
Je ne m’étendrai pourtant pas plus sur cette pièce rédigée en 1935, servant d’avertissement sur une future autre guerre mondiale (visionnaire, ce vieux monsieur qui fut jeune pendant longtemps).

Ce mois-ci, Bella est à l’honneur : deux familles puissantes de la Troisième République, les Rebendart et les Dubardeau, deux familles qui s’opposent et se haïssent. Pourtant, un air shakespearien nous revient dans les naseaux : tiens, tiens, Bella et Philippe ne tomberaient-ils pas fous amoureux l’un de l’autre malgré leurs deux clans qui s’abhorrent ?
Affirmatif.
Vérone devient Paris, les Capulet et les Montaigu deviennent français mais le thème n’est pas franchement neuf : Jean modernise la pièce de William, y ajoute une touche d’humour et une satire de ce régime politique particulier qui bouscula la France au début du siècle dernier.
En soi, l’idée n’est pas mauvaise, mais le roman est long.

Je veux vous être mauvaise et vous avouer – ne râlez pas car vous le saviez déjà : Bella est responsable et ne survivra pas.
Comme tout histoire racontée par un homme mais vécue par une femme, il fait tout de même meilleur vivre, sans ces drôles de créatures âpres et patelines.

Le Club des Incorrigibles Optimistes, Jean Michel Guenassia, 2009

Prix Goncourt des Lycéens, découvert durant ce temps béni qu’on appelle tendrement le confinement. 

Flavie, mon amie de toujours, et mon grand-oncle chéri, m’ont tenu les chevilles pour que je le lise, une bonne fois pour toutes. Je râle, je geins, sept cents soixante-huit pages, j’ai l’envie de me pendre : aujourd’hui, il trône sur ma table de chevet, devenant mon Missel littéraire (après ma douce Françoise, bien entendu). 

1959-1964 : Quartier latin, sur fond de guerre d’Algérie. Michel Marini, douze ans, plus intéressé par le baby-foot que par les études, fréquente le Club des Incorrigibles Optimistes, lui même habité par un groupe de réfugiés d’Europe de l’Est qui se réunit tous les soirs autour d’un jeu d’échec, dans l’arrière salle du café. Michel prête une oreille attentive aux discussions enflammées de ses aînés, découvrant peu à peu les histoires tragiques, les secrets, les regrets et déchirures de ces hommes brisés. « Si même nous on y croit pas, qui le fera ? » murmure Vladimir à Sacha. 

Les mots de Guenassia sont devenus mes compagnons de route : mélangeant la petite histoire à la Grande, je regarde la couverture, mélancolique. Paris reprend des couleurs, elle qui, pourtant, se vit alors en noir et blanc, se fait jeune alors que plus de soixante ans me sépare d’elle, Montparnasse et la place Denfert Rochereau – où je bois moi-même mes allongés et mes verres de Chardonnay avec mes amis et mes amours – prennent une forme, nouvelle et foisonnante, de tourbillon intellectuel qui m’enivre sans me donner la nausée un seul instant. 

« – Vous fumez beaucoup, Sacha. Vous devriez faire attention.

– Michel, vous êtes gentil, mais un peu casse-couilles. »

Je ris, je pleure, je souris et je divague. 

Chef d’œuvre ou masterclass (comme disent les jeunes), nous avons tous des paradis perdus dans lesquels nous n’avons jamais vécu : j’ai tout à coup vingt ans depuis soixante ans, le cœur aux couleurs de Ferré, d’Aznavour et de Dalida.

Merci, monsieur Guenassia.