La Fugue

Ne pas avoir peur de voir, ne pas avoir peur de dire. Dans le roman de Camus traitant d’un fléau, les autorités de la ville refusèrent pendant plusieurs jours de prononcer le nom de la maladie, malgré les rats qui venaient mourir aux pieds des hommes et encombrer les rues. L’évidence était effrayante. En société – en politique – la tentation est grande de se taire, de ne pas dire les choses telles qu’elles sont, de peur d’être le premier à le dire. Les porteurs de mauvaises nouvelles sont souvent maltraités, mais la société leur doit maintes fois leur salut devant un grand mal. Charles Péguy prévient : « Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». Ne bornons pas la peur dans les situations extraordinaires, et son dépassement dans les actes héroïques des légendes. La peur est omniprésente : la peur de déranger jusqu’à s’excuser d’exister ; la peur de défendre ses idées, la peur de s’attaquer à celles que nous croyons mauvaises. Cette peur n’est pas illégitime, mais elle ne doit pas nous assommer, elle permet au contraire de nous garder éveillés. Poser le diagnostic des maux qui nous entourent, et des problèmes que nous discernons, fait quelquefois peur mais les peurs nous permettent d’identifier vers où doivent porter nos efforts. Prononcer le nom de la peste faisait peur, mais « c’est à partir de ce moment que la peur, et la réflexion avec elle, commencèrent ».

Par Alban Smith